mercredi 29 février 2012

Mathieu Gaborit vous attend pour le tome 4 !


Tome 4, donc !

Pour relire le début de cette passionnante interview :


Et parce qu'on ne s'en lasse pas, même le 22 février, on relit ce texte du 31 janvier 2012 !

« Mardi 31 janvier 2012, sept heure trois.
Je termine mon café, les yeux rougis de fatigue. J'allume une première cigarette. Un visage s'esquisse dans un nuage de fumée bleuâtre. Une gueule marquée qui évoque celle d'un farfadet sous acide titubant à la sortie d'une boite de nuit.
- Monsieur Gaborit ?
Les yeux plissés, je fixe le fond de ma tasse
- Monsieur, il faudrait tirer sur votre cigarette. J'ai la bouche floue.
Je m'exécute. Mon Imago ne plaisante jamais.
- Monsieur, nous sommes à la veille de votre rendez-vous
- Je sais
- Il faut prêter serment.
Je grommelle et m'adosse au plan de travail de notre cuisine
- Vas-y, soupiré-je, balance...
- Un instant. Dois-je rappeler à monsieur qu'en cas de manquement à vos obligations, l'article « clé de sol sur fond turquoise » du code de déontologie des artisans de l'imaginaire stipule un an de cauchemars récurrents et une peine incompressible de sommeil agité sur taie d'oreiller mal repassée ?
- Je sais, grommelé-je du bout des lèvres
- Bien. Promettez-vous de parler sans faux semblant ni artifice verbeux, de dire toute la vérité, rien que la vérité ?
- J'ai le droit à un joker ?
- Dup et Emma le décideront.
- Une dérobade, au moins ?
- Non, monsieur.
- Une diversion ou une omission ?
- Non plus.
- Une panne de mon « provider » ? Une grand-mère sur le Concordia ?
- Refusé, monsieur.
- Bon.... je le jure, laché-je d'une voix pâteuse.
J'écrase ma cigarette et me verse une nouvelle tasse de café en sachant qu'il faudra être à la hauteur.
Sur Book en Stock, on ne badine pas avec les songes. »


**********



Bonjour Mathieu Gaborit et bienvenu parmi nous.
Je suis en train de lire "Chronique du soupir" et ce qui m'intrigue le plus, c'est ce concept de "Lignes-vie" (ainsi que les Verticales et l'Horizon). Je me demandais donc d'où cette idée vous était venue.

Merci de prendre le temps de répondre à nos questions.


Mathieu :


Bonjour Voz,

J’aime cette idée d’une spatialité magique et surtout d’un tissage à l’échelle d’un monde. Mais c’est aussi une manière de recomposer une géographie. Je me souviens d’une conversation avec Guillaume Vincent alors que nous étions en train de travailler sur le jeu de rôle Ecryme (qui donneront plus tard les romans du cycle de “Bohème”). Nous cherchions un moyen de faire exister le steampunk dans un tissu exclusivement urbain et l’ecryme (une substance corrosive qui recouvre la planète) est née, autre autres, de cette volonté de nier la “campagne”, de se soustraire au diktat d’un espace vaste et dépeuplé. En fait, la Ligne-Vie supprime ce qui est “entre les villes”, la notion même du voyage qui prédispose à l’heoric-fantasy. Chez Tolkien, l’aventure est derrière la colline. Pour moi, elle est derrière la ville. Mes grands-parents étaient de la campagne mais j’ai toujours vécu à Paris. J’ai l’âme d’un citadin et je ne sais pas “enchanter” la campagne (au sens large, bien sûr). En découpant l’univers à travers les Lignes-Vies, il y a une volonté sous-jacente de jalonner la planète de petits mondes denses (les villes) et très caractérisés.
Sans compter que verticalité et horizontalité sont des concepts particulièrement tangibles, 'j’entends par là qu’ils affleurent sans difficulté dans l’inconscient collectif et peuvent, dès lors qu’ils sont énoncés, provoquer mille et un fourmillements dans l’imaginaire du lecteur. Dans ces deux mots, il y a de la religion, de l’architecture, des paysages tranchés, etc. Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours appréhendé la magie comme une valeur universelle et ce maillage des Lignes-vies en est un exemple.



Crunches :


Hello !

L'autre coup, je me suis demandée si, quand vous commencez à écire un livre vous savez déjà à quel public il va s'adresser ? Je veux dire, est ce que vous vous dites "Tiens, mon prochain roman ce sera de la littérature jeunesse" ou bien est ce que ça vient comme ça ?
Et est ce que vous vous mettez des petits défis personnels (genre mettre tel mot au moins une fois dans le prochain chapitre ou écrire sans la moindre lettre "e") ?
Y-a-t'il parfois des demandes de la part de vos proches (éditeur, agent, famille) ?

J'enchaine tout de suite avec la suite (sinon ma mémoire de poisson rouge va rebooter et je perdrais toutes les données !):
Pour le moment, vous avez écrit beaucoup de fantasy, est ce que vous n'avez pas eu envie d'essayer autre chose ?

et j'en avais une autre... mais je l'ai perdue ! et comme je n'ai toujours pas trouvé ces fameux cahiers waterproof, je suis condamnée à oublier les illuminations que j'ai pendant que je prends ma douche !!!


Mathieu :


Bonjour Crunches,

Alors, un triple “non” !
Non, je n’aborde jamais un roman en me demandant à quel public il va s’adresser. J’écris et je laisse à l’éditeur le soin de définir s’il s’adresse à un lectorat en particulier. Donc, oui, cela vient “comme ça”. Vouloir s’adresser à un lectorat relève d’un mensonge à mes yeux. C’est comme si vous étiez dans un rapport de séduction, que vous vouliez plaire à ce lecteur plutôt qu’un autre. Difficile d’imaginer que la littérature puisse ainsi se “réserver” à un public. Dans les faits, c’est ce qui se passe, je vous l’accorde. Il y a peu, je voyais encore un monsieur ouvrir des yeux exorbités quand je tentais de lui expliquer ce que j’écrivais. Je sentais bien que chaque mot, pour lui, était une abstraction. Dans Soupir, j’ai malgré moi pris position puisque je n’ai pas cherché un seul instant à expliquer ce qu’était un nain ou un elfe. En préambule, le mot “nain”, par exemple, agit comme référent. C’est une balise, un jalon. En surface, je n’écris pas pour un public précis mais en réalité, il est possible que cette intention transgresse le propos et qu’au final, sans vraiment le vouloir, j’adresse des signes clairs à un “certain” lectorat. En tout cas, ce n’est pas intentionnel et surtout cela ne conditionne en rien mon histoire et mon écriture.

Des défis personnels ? Non, franchement non. Je dois avouer que je n’y trouverais aucun plaisir.

Des demandes de la part des proches ? Excepté la réflexion partagée en amont des Féals (sur le style et l’approche), pas vraiment. Un éditeur est là pour éclairer le texte, le rendre plus intelligible et vous rappeler à l’ordre si, à un moment ou à un autre, vous n’écoutez plus que vous et que vous devenez trop abscons. C’est un ange gardien, un miroir, un tuteur mais pas un commandeur. Ma femme lit les textes une fois que le premier jet est abouti et ses remarques sont toujours précieuses dans la mesure où elle n’est pas une lectrice de Fantasy.

Ecrire autre chose ? Je ne sais pas si vous entendez la “fantasy” au sens large. En tout cas, pour le moment, je vais écrire dans des univers contemporains, quelque chose qui se rapproche plus de l’anticipation. Je vais devoir prendre mes distances avec la Fantasy proprement dite (au sens médiéval, pour faire court) pour mieux y revenir. Ne serait-ce que pour écrire à nouveau dans l’univers des Crépusculaires.

Filez vite prendre une douche, j’attends votre prochaine question !



Bonsoir Mathieu,

Tout d'abord merci d'être là pour "le mois de..." qui me permet de vous découvrir. Je lis "Les Chroniques des Féals" (merci Dup et Phooka) et j'aime beaucoup même si j'ai un peu de mal avec la Charogne et les Charognards, plus que le mal à l'état pure mais plutôt la mort qui prend "vie" c'est assez angoissant.
Beaucoup de questions et de réponses intéressantes, la mienne sera plus générale.
- Pourquoi utilisez-vous (comme d'autres auteurs de fantasy) l'unité de mesure telle que "la coudée" ou "le pouce" et pas le mètre ou le km ?

Et une autre petite question : viendrez-vous un jour à la foire du livre de Brive ?

Voilà je retourne à votre livre :)


Mathieu :


Bonjour Cerisia,

C’est une question délicate et je n’ai pas de réponse tranchée. On touche de près à la notion d’immersion. L’écriture est un cocktail fragile dont il faut prendre soin pour restituer une atmosphère, une époque, une couleur donnée. Un temps, j’ai trouvé que la référence au kilomètre ou au mètre pouvait heurter, qu’elle était intrusive. C’est la limite de l’heoric-fantasy. Si, dans un dialogue, un jeune mage commence à parler en utilisant des mots contemporains, ne serait-ce qu’un mot comme “merde”, vous êtes brutalement éjecté du bouquin. Certains y arrivent, moi pas. Aujourd’hui, je préfère servir une forme d’évidence. Le mot “coudée” sauvegarde les apparences d’une époque mais peut, a contrario, désorienter le lecteur puisqu’il ne connait pas forcément sa table de conversion et que la valeur indiquée ne lui évoque rien.
On en revient à une histoire de spatialité, d’ancrage dans l’histoire. Vaut-il mieux privilégier une visualisation limpide (le nain mesurait un mètre trente) ou une musique immersive ? (le nain mesurait trois coudées) ? Je pense que l’histoire conditionne le choix en question, que l’auteur, seul, peut sentir lequel des deux s’impose. A l’heure actuelle, j’aurais tendance à préférer la première solution.

J’étais à Brive pour la dernière édition. L’année prochaine, je ne sais pas encore. Tout dépendra de l’éditeur et de mon actualité. A suivre !





Re-bonjour,
j'ai encore une question qui m'est venue à l'esprit:
Je suis vraiment restée sur ma faim en finissant "Chronique du soupir" d'où ma question: aura-t-on la chance de revoir des personnages comme Lilas ou Cerne et Lyme dans un autre livre? Comment leurs vies continueront?


Mathieu :


Re-bonjour Voz,

A priori, non.
Pas à court ou moyen terme, en tout cas. Il n’y a pas d’absolu en la matière, seulement la certitude que ce roman devait exister ainsi, en “one-shot”, pour raconter cette histoire.
La vie fera peut-être qu’un jour, je regretterai de ne pas avoir approfondi ces personnages et que j’aurai envie de les retrouver.
Pas pour le moment, en tout cas.


Dup :



Bonsoir Mathieu,

Et non, je ne vous lâcherai pas ! :))

Etant à nouveau plongée dans les Féals puisque la LC se poursuit, j'ai une question qui me titille. Cet univers m'enchante avec ses peuples différents selon le Féal qu'ils vénèrent. Une mention spéciale en passant pour les Licornéens d'ailleurs ! Mais, et oui, il y a un mais : je suis chagrinée, voire écoeurée par l'image que je me fais aux vues de vos descriptions des Pères Caladriens. Or c'est pourtant le peuple pacifique par excellence, hospitalier dans tous les sens du terme. Pourquoi cette vision d'horreur ?

Même malade je me sauve en courant moi s'ils me tendent la main !

Mathieu :


Hello Dup,

J’ai été vraiment intriguée par votre question. A tel point que j’ai pris soin de rouvrir un exemplaire du Fiel pour retrouver la description en question.
J’avoue mon désarroi ! De quelle horreur parlez-vous ? De cette fusion à travers un baiser ? Dans un monde où le Féal est une créature sacrée, une figure quasi divine, ce baiser me semble au contraire démontrer combien les Caladriens sont en harmonie avec leurs principes. Le Caladre est une créature magique au même titre qu’une fée ou un lutin. Ce baiser, de toute façon, n’a pas une valeur sensuelle ou amoureuse, il renvoie plutôt à une image très maternelle, quelque chose qui parle d’une mère mâchant la nourriture pour ses petits. Dans mon esprit, ce baiser représente ce même geste que certains samaritains seraient capables d’avoir pour venir en aide à un lépreux. C’est un geste de compassion et d’amour au service de l’autre quand bien même il effleure un tabou.



Merci de cette précision Mathieu. 
Visualisant une queue en forme de serpent, pour moi la fin de cette queue était une tête de serpent. Et l'imaginer fichée à vie sur la bouche du Père Caladrien me donnait des frissons à chaque passage où ils intervenaient. J'en ai d'ailleurs fait un dessin, si je le retrouve dans mon bazar, je le mettrai en ligne.
Trouvé !!!





Voilà le résultat de mon gribouillage... une écharpe dont je me passerai bien ! Eurk.


Je remonte à cheval puisque le mois de février file à grand pas et que je veux en profiter un max.

1/ Dans les crépusculaires, j'ai trouvé que certains personnages étaient véritablement centraux et que vous les dissimuliez. Il y a d'abord Diurne qu'on ne fait qu'entrevoir, mais aussi Lerschwin le farfadet. Pendant ma lecture, je me suis même dit "Mais pourquoi ça n'est pas lui plutôt qu'Agone le personnage principal ?". Est-ce une volonté de votre part d'écarter le héros du bien et l'opposant du mal ? Ou bien est ce seulement moi qui couve une passion malsaine pour ce farfadet (et tous les farfadet en général) ?

2/ Je vais fêter les deux ans de blogs, vous avez un cadeau pour lui ?

3/ On vous associe souvent à toute une génération d'auteurs de fantasy français (en pensant généralement au non moins génial Fabrice Colin). Pensez vous qu'il y ait vraiment un semblant d'unité dans le lot ? Une certaine école d'écriture avec des codes communs ? Une french tuch ? Une sensibilité générationnelle ?



Mathieu :

  
Bonjour Orkan, 


1 - Mon cher, à l'évidence, votre "farfadophilie" relève de la psychiatrie ! Seriously speaking, les Crépusculaires sont un souvenir plutôt vague dans mon esprit. Je suppose qu'à l'époque, dans un élan post-adolescent, j'ai voulu faire d'Agone l'un de ces héros miroitant qui réfracte une histoire. Héros malgré lui, héros trop souvent spectateur, qu'on propulse dans un réel incarné par le Souffre-Jour. Lerschwin et Diurne sont des personnages essentiels, je vous l'accorde. Sans eux, l'histoire n'existe pas. J'essaie tant bien que mal de battre le rappel de mes souvenirs, ce n'est pas si simple, tous ces personnages appartiennent au passé. De Lerschwin, je garde surtout l'image du révolutionnaire authentique, l'idéaliste forcené. Il incarnait, entre autres, mes désillusions post-communistes et, par opposition, la découverte de la la singularité ou le principe aristocratique et élitiste de la magie. On évoque les fondements de l'enchantement : existe-t-il "en creux" du réel ou a-t-il sa propre essence ?  Par extension, peut-on considérer qu'une magie se doit d'être partagée, universalisée ou n'aura-t-elle sa valeur que dans son exception ? Je n'ai pas la réponse et c'est une question qui m'obsède. J'évoque souvent mon désir d'ensemencement, la certitude qu'il faille muscler l'imaginaire pour légitimer l'acte de création en amont. J'ai mis du temps à admettre que cet acte de création pouvait être médiocre. Du temps de Mnémos, il m'arrivait de lire des manuscrits indiscutablement sans intérêt, mal écrit, bourré de convenances et pourtant, derrière ce manuscrit, quelqu'un avait passé des heures, des jours, des années à mener ce projet artistique à bien. L'enjeu n'est pas de remettre en question l'acte en question, infiniment fondé, mais de se demander jusqu'où l'édition d'un manuscrit le légitime aux yeux du monde (pour ne parler que des livres, en l'occurrence). 
Jamais je ne pourrais être éditeur même si je conçois que le choix d'un manuscrit soit toujours circonstancié (un éditeur, la politique d'une maison, l'époque, les modes, etc.). Lerschwin, tout comme Agone, a sans doute voulu parler de tout cela et si Lerschwin n'a pas eu l'envergure souhaitée, c'est en parti pour éclairer ce principe honteux d'une magie recroquevillée sur son élitisme.  
Diurne, lui, est avant tout un poème-personnage qui parle de la fragilité. Il ne devait être que cela, une fragilité qui se dérobe au monde pour ne pas se briser.

2 - Well, well... Il y aurait bien cela - http://www.datamancer.net/steampunklaptop/steampunklaptop.htm - pour inspirer vos chroniques mais j'aurais du, au préalable, établir un plan de carrière et écrire une trentaine de volumes dans l'univers des Crépusculaires. A défaut, je vous offre un restau' quand vous passerez à Paris pour évoquer les mérites incontestés de l'éther pour voyager en dirigeable ? 

3 - Sensibilité générationnelle, c'est possible. Les mêmes âges, des trajectoires souvent marquées par le jeu de rôle ou le jeu vidéo, des gamins qui ont grandi avec un panel imaginaire plus large et plus disponible que la génération précédente. En tout cas, des auteurs décomplexés, sans état d'âme. A vrai dire, je ne pense pas qu'il y ait une forme d'unité excepté, peut-être, l'empreinte laissée par Mnémos pour certains d'entre nous. Cette aventure a un point commun, Stéphane Marsan. C'est grâce à lui que nous sommes là aujourd'hui. 



Phooka :

J'adore ton dessin Dup!!! Enorme!!!

Bon je voulais en revenir au Soupir que je viens de finir. Il y a dans ce roman, des personnages incroyablement passionnants qu'on ne fait que croiser en 3 pages lors d'un chapitre et qu'on ne revoir jamais (tel cet elfe chasseur aveugle). C'est frustrant pour le lecteur qui sent tout le potentiel d'un tel personnage. Pourquoi ne pas en avoir développé plus certains? Y a 'til une volonté d'être terriblement elliptique (dans le sens où vous levez parfois le voile sur des choses qu'on imagine extraordinaires pour le laisser retomber aussitôt). Je ne sais pas si je suis claire dans ma question... 



Mathieu:



 Bonjour Phooka, 

La question est limpide. 
Toujours cette trajectoire suspendue, cette petite balle onirique que je laisse au lecteur le soin de rattraper ou de laisser retomber. Soupir marque certainement la limite. Jusqu'ici, je n'avais jamais été aussi économe dans mes explications. J'ai conscience d'une frustration mais le jeu en vaut la chandelle. Dans la frustration dont vous parlez, il y a le présupposé d'un désir d'en savoir plus. Infime ou avéré, ce désir amorce nécessairement votre machine à rêve. Cela ne durera peut-être qu'une fraction de seconde, peut-être un peu plus mais le désir, lui, a existé et ce qui importe le plus à mes yeux. 
Au même titre qu'on peut trouver une femme habillée bien plus désirable qu'une femme nue, je suis convaincu que le rêve suit la même logique. Dépouillé, expliqué, disséqué, il perd en mystère et le désir, précisément, s'étiole. 


Elise

Bonjour Mathieu,

Chronique du Soupir est le premier livre à travers lequel je découvre votre univers et votre plume. J'ai passé un très bon moment de lecture.

J'ai trouvé votre imagination vraiment débordante et l'idée d'avoir pour cœur une fée m'a beaucoup plu. Comment vous est venue cette idée ? Y a-t-il des mythologies et des légendes en particulier qui vous inspirent ?

J'ai également beaucoup aimé l'illustration de la couverture. Une question que je me pose souvent : les auteurs ont ils un droit de regard sur la couverture de leurs livres? Ou est ce la maison d'édition qui décide?


Merci pour ce moment de lecture, j'espère avoir l'occasion de lire d'autres livres de vous. 






Mathieu:


Bonjour Elise, 

Merci, avant tout chose. 
J'ai déjà pu le dire, il est très difficile de remonter précisément aux sources d'une idée. Celle ci est simple et c'est sans doute ce qui m'a incité à la retenir et à l'extrapoler. J'ai toujours aimé l'image du sanctuaire, de la bulle, de l'espace préservé. En l'occurrence, la fée est théoriquement à l'abri dans un corps conçu comme une forge. Travailler le souffle implique l'empathie avec son propre coeur. L'image est là. Le coeur est un organe vital, le siège fantasmé et littérale des émotions. Lui donner vie me semblait un concept intéressant pour interroger la suprématie de nos émotions sur l'esprit, le registre des "humeurs" confrontées à la raison. Devrait-on considérer nos émotions comme des hôtes tutélaires ou au contraire comme des alliées, des consciences garantes de notre authenticité pour combattre le cynisme ou la cupidité ? Vous voyez, on reste finalement assez proche d'un thème récurrent : jusqu'où l'émotion dit la vérité et doit être écoutée ? Jusqu'où l'acte de création peut il se décliner sans contrainte pour conserver son "intégrité" ? 
Si j'avais une mythologie, ce ne serait que celle là : un imaginaire débridé et surréaliste apte à se reconstruire. Capable d'harmonie pour se crédibiliser. 

Tout dépend de la maison d'édition. En règle générale, l'auteur est consulté. Parfois même invité à discuter avec l'illustrateur. D'autres fois, il n'a pas voix au chapitre. 
Didier Graffet et moi, nous nous connaissons depuis longtemps. Lorsque j'ai vu la couverture, je me souviens avoir douté (indépendamment de la beauté avérée de cette illustration). Je la trouvais trop intime, presque trop "steampunk". A présent, je pense que Didier a eu raison de la représenter ainsi. Pour deux raisons : la première, c'est que j'aime qu'un illustrateur confirmé puisse livrer son propre regard et interpréter votre histoire avec son propre background. C'est souvent l'occasion d'être surpris, troublé. La seconde, c'est que cette couverture "parle", qu'elle raconte une histoire au premier coup d'oeil sans choisir la facilité (dans l'ordre ou en désordre : un guerrier, un magicien, un cheval, une armure, un dragon une forteresse, une épée).  

Une Crunches toute propre :))


Ayant pris d'autres douches depuis la dernière fois, j'ai d'autres questions !

En fait, par "autre chose" je pensais à carrément autre chose que la fantasy (par exemple des thrillers)

Autrement, le personnage principal de votre dernier roman est féminin. Est ce que vous avez changé quelque chose par rapport à "d'habitude" ?

Mathieu :


Hello Crunches,

A la bonne heure, vous voilà fraîche et dispose pour papoter !

Le thriller, pourquoi pas. Mais plutôt quelque chose qui ressemblerait à du polar un peu trash à la Simmons ou Crumley. Je serais tout à fait incapable de m'en tenir à une structure établie et ciselée. Du road movie plutôt. Et puis il y a l'histoire, le roman historique. Si j'avais plusieurs vies, j'aurais aimé prendre le temps d'écrire sur la Première et la Deuxième guerre mondiale, sur des événements méconnus, des micro-histoires. Hier soir, je regardais un film, "la bataille de Brest-Litvosk". Pas franchement mémorable d'un point de vue cinématographique mais c'est précisément ce type d'histoire que j'aimerais raconter.

Non, j'avais déjà abordé l'exercice à travers Louise Kechelev dans le cycle de Bohème et pour moi, cela ne fait aucune différence, en surface du moins. C'est un personnage avant d'être une femme, une voix, une trajectoire, un ressenti. Un auteur masculin peut se figurer un personnage féminin, l'interpréter, le sublimer mais, disons le clairement, ces deux trucs qui lui pendouillent entre les jambes en guise d'appendice sous-ventral le condamne, quoi qu'on en dise, à être en dehors du cercle. Dans la mesure où je cherche, moi, l'écriture instinctive, le choix du personnage féminin est une décision radicale qui vous oblige souvent à relativiser le point de vue. J'ai le sentiment d'effleurer, parfois, une certaine vérité. Pas toujours mais, en l'occurrence, je trouve que l'expérience et la maturité sont essentiels pour parler des femmes. L'âge ne fait pas nécessairement de vous quelqu'un de plus pertinent ou de plus gracieux. En revanche, d'un point de vue strictement immersif et fictionnel, cette maturité peut nourrir et étoffer le personnage pour le rendre plus perceptible. Un temps, j'ai pensé que l'auteur pouvait générer un "genre" entre le masculin et le féminin qui ne soit pas de l'hermaphrodisme mais juste un liant ou une passerelle qui lui offre un regard quasi dissocié, un truc qui puisse faire dire qu'un personnage fictionnel est asexué à son point d'origine. Pas sûr que je sois très clair, là.... bref, disons qu'aujourd'hui, je crois qu'il y a une limite indépassable au fait de pouvoir s'abstraire de sa masculinité ou de sa féminité. Ce n'est pas très grave, en fait. C'est même plutôt charmant, cette limite.


Wilhelmina :


J'ai lu toutes les réponses de notre cher Mathieu Gaborit mais je ne sais plus si ces questions ont été posées (d'ailleurs je ne sais pas si je peux encore mais qui ne tente rien n'a rien n'est-ce pas ^^)

Bonjour Mathieu,
J'aimerais tout simplement savoir quels auteurs vous lisez/tu lis ? (j'avoue que je ne sais plus si je dois tutoyer ou vouvoyer car notre échange par email commence à dater maintenant... d'ailleurs, curieusement, je n'avais pas posé cette question ><)
Et sinon, quels sont vos/tes projets littéraires ? Peut-on savoir quel genre de manuscrit(s) traîne(nt) dans vos/tes tiroirs ? (^-^) ou est/sont déjà chez un éditeur d'ailleurs ?

Merci encore pour ce délicieux mois de février,
J'en redemande (^-^)
Merci Dup et Phooka =)


Mathieu :


Bonjour Wilhelmina,

Alors tutoyons-nous, c’est le plus simple

Je dois avoir répondu à la première question si mes souvenirs sont bons.

Pour les projets, en vrac : finaliser le roman interactif qui doit sortir bientôt (corrections, etc.) ; travailler sur mon nouveau roman (un projet de fantasy contemporaine) ; accompagner la sortie du JDR Féal (au titre de conseiller cubain) ainsi que le développement (de loin, là encore, mais peut-être d’un peu plus près dans les semaines à venir) d'une nouvelle édition d’Ecryme menée par deux garçons, ma foi, fort talentueux ; poursuivre également le développement d’une licence avec deux amis (projet que nous menons sur notre temps libre depuis bientôt deux ans) qui devrait voir le jour sous une forme ou une autre ; préparer, corriger et rédiger des inédits pour une anthologie de mes nouvelles qui sort en juin et, pour finir, si la chance est de mon côté, collaborer sur un projet réjouissant lié à Abyme.
Voilà, a priori, à court et moyen terme, ce sera tout. Le nouveau roman sera mon activité principale dans les mois à venir.



Charabistouilles :

Ces 4 tomes auront vraiment été intéressants. J'ai adoré découvrir Mathieu Gaborit sous cet angle après avoir lu Chronique du soupir.

Petite question s'il reste encore du temps (on est tjs en février :D) :

Je suis étudiante en traduction, et j'aurais aimé savoir si vos livres ont été traduits. Cela doit être si difficile de pouvoir restituer un univers aussi original, un plume raffinée et poétique.
Si un de vos livres a été traduit, avez-vous communiquer avec le traducteur ? Vos livres traduits ont-ils aussi du succès ?

Et sinon, pour conclure février, que retiendrez vous de ce mois de questions ? Enrichissant ?

Mathieu :

Bonjour Charabistouilles,

Merci pour votre intérêt.

Rarement. En Allemand et en Russe uniquement. Et je n’ai pas eu l’ombre d’une communication avec les traducteurs requis. Honnêtement, excepté quelques exemplaires reçus (les couvertures russes sont particulièrement savoureuses si on aime le kitch), je n’ai pas de retour particulier sur ces traductions. D’ailleurs, cela me fait penser qu’il faudrait que je pose la question !
De ce que j’en sais, mes romans sont trop... français. Je n’ai jamais vraiment su comment je devais le prendre

Ce que je retiens de ce mois ? On a finalement assez peu l’occasion de s’exprimer autant sur ce que l’on fait et les questions qui ont été posées m’ont obligé plusieurs fois à formaliser des choses inédites. Je suis plutôt de la tribu des “taiseux” et ce “mois de” a été une expérience vraiment intéressante de ce point de vue.



12 commentaires:

Pat a dit…

Dup, je suis tout à fait d'accord avec toi. Une fée ou un lutin, c'est mignon, mais un serpent c'est affreux et en plus l'embrasser sur la bouche quel cauchemar!

Unknown a dit…

Je remonte à cheval puisque le mois de février file à grand pas et que je veux en profiter un max.

1/ Dans les crépusculaires, j'ai trouvé que certains personnages étaient véritablement centraux et que vous les dissimuliez. Il y a d'abord Diurne qu'on ne fait qu'entrevoir, mais aussi Lerschwin le farfadet. Pendant ma lecture, je me suis même dit "Mais pourquoi ça n'est pas lui plutôt qu'Agone le personnage principal ?". Est-ce une volonté de votre part d'écarter le héros du bien et l'opposant du mal ? Ou bien est ce seulement moi qui couve une passion malsaine pour ce farfadet (et tous les farfadet en général) ?

2/ Je vais fêter les deux ans de blogs, vous avez un cadeau pour lui ?

3/ On vous associe souvent à toute une génération d'auteurs de fantasy français (en pensant généralement au non moins génial Fabrice Colin). Pensez vous qu'il y ait vraiment un semblant d'unité dans le lot ? Une certaine école d'écriture avec des codes communs ? Une french tuch ? Une sensibilité générationnelle ?

Phooka a dit…

J'adore ton dessin Dup!!! Enorme!!!

Bon je voulais en revenir au Soupir que je viens de finir. Il y a dans ce roman, des personnages incroyablement passionnants qu'on ne fait que croiser en 3 pages lors d'un chapitre et qu'on ne revoir jamais (tel cet elfe chasseur aveugle). C'est frustrant pour le lecteur qui sent tout le potentiel d'un tel personnage. Pourquoi ne pas en avoir développé plus certains? Y a 'til une volonté d'être terriblement elliptique (dans le sens où vous levez parfois le voile sur des choses qu'on imagine extraordinaires pour le laisser retomber aussitôt). Je ne sais pas si je suis claire dans ma question...

E a dit…

Bonjour Mathieu,

Chronique du Soupir est le premier livre à travers lequel je découvre votre univers et votre plume. J'ai passé un très bon moment de lecture.

J'ai trouvé votre imagination vraiment débordante et l'idée d'avoir pour cœur une fée m'a beaucoup plu. Comment vous est venue cette idée ? Y a-t-il des mythologies et des légendes en particulier qui vous inspirent ?

J'ai également beaucoup aimé l'illustration de la couverture. Une question que je me pose souvent : les auteurs ont ils un droit de regard sur la couverture de leurs livres? Ou est ce la maison d'édition qui décide?

Merci pour ce moment de lecture, j'espère avoir l'occasion de lire d'autres livres de vous.

Crunches a dit…

Ayant pris d'autres douches depuis la dernière fois, j'ai d'autres questions !

En fait, par "autre chose" je pensais à carrément autre chose que la fantasy (par exemple des thrillers)

Autrement, le personnage principal de votre dernier roman est féminin. Est ce que vous avez changé quelque chose par rapport à "d'habitude" ?

Crunches a dit…

=) J'avais mis "autreS doucheS" ! Mais manque de pot, je n'ai pas d'illuminations vous concernant à chaque fois que j'en prends ! du coup je n'ai pas de questions à vous proposer !
ah si ! Pourquoi attendre une autre vie pour écrire des romans historiques ?

(et, shame on me, un gamin de 9 ans m'a battu au mastermind challenge ce soir ! Enfin... une partie sur les 5 qu'on a joué ! Je suis donc prête à vous affronter Maitre ! mwhahahahahhha *rire sadique*)

Unknown a dit…

Merci beaucoup pour ces réponses, et pour ce mois riche en enseignements. Ce fut un vrai plaisir

Wilhelmina a dit…

J'ai lu toutes les réponses de notre cher Mathieu Gaborit mais je ne sais plus si ces questions ont été posées (d'ailleurs je ne sais pas si je peux encore mais qui ne tente rien n'a rien n'est-ce pas ^^)

Bonjour Mathieu,
J'aimerais tout simplement savoir quels auteurs vous lisez/tu lis ? (j'avoue que je ne sais plus si je dois tutoyer ou vouvoyer car notre échange par email commence à dater maintenant... d'ailleurs, curieusement, je n'avais pas posé cette question ><)
Et sinon, quels sont vos/tes projets littéraires ? Peut-on savoir quel genre de manuscrit(s) traîne(nt) dans vos/tes tiroirs ? (^-^) ou est/sont déjà chez un éditeur d'ailleurs ?

Merci encore pour ce délicieux mois de février,
J'en redemande (^-^)
Merci Dup et Phooka =)

herisson08 a dit…

MOi je ne pose pas de questions mais je lis, alors pour une fois sur 4 "tomes" d'échanges je le dis :) C'est vraiment super ces "mois de"!

Dup a dit…

Merci Hérisson :))

C'est grâce aux questions et à ces auteurs fabuleux qui jouent le jeu avec nous !

Charabistouilles a dit…

Ces 4 tomes auront vraiment été intéressants. J'ai adoré découvrir Mathieu Gaborit sous cet angle après avoir lu Chronique du soupir.

Petite question s'il reste encore du temps (on est tjs en février :D) :

Je suis étudiante en traduction, et j'aurais aimé savoir si vos livres ont été traduits. Cela doit être si difficile de pouvoir restituer un univers aussi original, un plume raffinée et poétique.
Si un de vos livres a été traduit, avez-vous communiquer avec le traducteur ? Vos livres traduits ont-ils aussi du succès ?

Et sinon, pour conclure février, que retiendrez vous de ce mois de questions ? Enrichissant ?

Wilhelmina a dit…

Merci beaucoup de ta réponse donc Mathieu (^-^) et merci Dup et Phooka pour ce rendez-vous génial !