jeudi 23 novembre 2017

Interview de Grégory Da Rosa - 5ème volet








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— Des doléances ? m’étonnai-je, ma voix résonnant démesurément entre les piliers et les voûtes la salle du trône.

— C’est bien cela, sénéchal, confirma l’architecte Rodenteux, chevrotant.

— Mais, voyons, Jacques… Des doléances, maintenant, alors que la ville est assiégée ?

— Tout à fait, sénéchal. Deux dames de grande importance demandent audience.

— Deux dames, dites-vous ? Et qui sont-elles ? D’où viennent-elles ?

Rodenteux, qui se tenait sur les quelques marches de l’estrade, obliqua ses yeux ronds sur ma vieille personne alors que j’étais inconfortablement assis sur le faudesteuil jouxtant le trône. Il monta une marche de plus, se pencha, et murmura à mon oreille :

— Sénéchal, ces dames viennent d’un royaume étrange et étonnement puissant, gouverné par les livres, peuplé de héros, de prophéties et de mondes innombrables. L’on nomme leur royaume Book en Stock.

— Boucan Stoque ?

— Absolument, sénéchal, absolument.

— Mais où donc se situe cet étrange pays ?

— Partout et nulle part à la fois, sénéchal, m’avoua-t-il d’un timbre étrangement aigu. Et c’est bien cela qui le rend puissant ! Ce royaume tout entier voyage de monde en monde, utilisant les manuscrits pour plonger en des univers que nous ne connaissons point encore. Mais sachez en tout cas qu’elles connaissent déjà tout de nous, c’en est effrayant ! Ce jour d’hui, justement, ces deux vénérables dames ont choisi la ville de Lysimaque pour visite. Comprenez ma pensée, sénéchal. Comme nous sommes en guerre, et étant donné notre situation pour le moins… menaçante – si vous me permettez cet euphémisme – je me suis dit qu’il serait bon de ne pas dénier le soutien d’un royaume tel que celui-là…

— Je comprends, Rodenteux. Je comprends.

— Dois-je les faire entrer ?

— Bien sûr, Rodenteux, bien sûr !

Le bonhomme se redressa tout à coup, pivota en direction du portail clos, tapa deux fois dans ses mains. À ce geste, l’ours Roufos, notre bon héraut d’armes, logé dans l’angle tout au bout de la nef, ouvrit les portes et beugla pis qu’un crieur public :

— J’annonce la dame Dup, duchesse Inette ! et la dame Emma, duchesse Phooka !

Alors les deux convives apparurent sur le seuil, la première vêtue d’une longue cotardie émeraude, aux franges et brocarts verts, tandis que la seconde arborait une houppelande plus blonde qu’un champ de blé au soleil, toute brodée de fils d’or.

Je me levai incontinent, descendis les marches de l’estrade et m’approchai pour baiser la main de mes deux invitées.

— Soyez les bienvenues, mes dames, déclamai-je. Puisse le séjour en la capitale vous être agréable. Mais dites-moi, ma curiosité est piquée au vif ! De quoi souhaitez-vous m‘entretenir ? Je suis tout ouïe.

Puis, soudain confus par mon manque évident de politesse, je proposai :

— Oh ! J’oubliais, mes dames : une coupe de vin, peut-être ? Je vous rassure, point n’est-il empoisonné. Enfin… je… je ne crois pas.







Emilie Milon :

Un immense merci pour ta réponse Grégory ! Elle comble ma curiosité autant qu'elle m'est utile. C'est rassurant aussi de voir que des coups de cœurs éditoriaux existent encore parmi les auteurs francophones. Je peux te dire que ta réponse en 4 jours fait rêver !

En tout cas merci d'avoir partagé ton expérience avec tous ces détails. J'avoue que la lettre de présentation n'est pas du tout mon point fort. Déjà à l'époque des recherches de stage et d'emploi ça m'agaçait de la faire car je ne sais pas me vendre et à mes yeux le CV comptait davantage (même si oui je la personnalisais, je la soignais niveau orthographe). Même maintenant que je suis de l'autre côté de la barrière, quand j'examine des candidature je la lis à peine, juste pour mesurer les dégâts en termes de fautes. Le concret (le CV ou dans notre cas le manuscrit) m'intéresse plus que le blabla que l'on sait toujours un peu hypocrite de la présentation. D'un autre côté j'imagine aussi le genre de lettre que tu as dû joindre à ton manuscrit quand je vois ta présentation et tes réponses aux questions. Je comprends tout à fait qu'elle ait dû intriguer et séduire le comité de lecture tout de suite. Elle a dû sacrément sortir du lot !

Encore merci pour ton partage ^^


Grégory :

Bonjour Emilie,

Ravi de voir que ma réponse te plaît. J’ai farfouillé dans les méandres de ma messagerie électronique afin d’y retrouver ma lettre de présentation. Tu verras qu’elle ne brille vraiment pas par son originalité, mais en la relisant, je me suis souvenu l’avoir rédigée comme suit :
Parler de ma passion pour l’imaginaire et des œuvres qui ont façonné ma plume et mon univers.
Mettre en avant les qualités de mon roman, mes intentions, mes choix stylistiques. Qu’est ce qui le rend attractif, lui, plus qu’un autre ?
Parler à la toute fin (et fugacement) de moi et de la maison d’édition visée.

Evidemment, ce n’est pas une lettre type. Elle n’est pas le modèle à suivre absolument, mais si jamais ça peut t’aider (et/ou aider d’autres auteurs et autrices) à prendre du recul sur ta propre lettre, alors pourquoi pas ! J La voici :

« Passionné d’Histoire médiévale et de littérature de l’imaginaire, c’est tout naturellement que j’ai souhaité confronter et marier ces deux thèmes, à place et à force égales, dans ce premier tome d’une trilogie. Des œuvres monumentales en ont influencé la rédaction, comme la gouaille et la désinvolture de Benvenuto Gesufal dans Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski, l’intrigue policière du Nom de la rose d’Umberto Eco, ainsi que le vocable élégamment vieilli des romans de Pierre Naudin.

Débutant comme un livre de fantasy classique avec son lot complexe de tensions géopolitiques, le roman prend rapidement une autre tournure en plongeant peu à peu le lecteur dans l’abîme des liens qui unissent les personnages de pouvoir. Comment l’amour, la jalousie ou la vengeance peuvent-ils influer à eux seuls sur l’avenir d’un royaume tout entier ? Rien de mieux, m’a-t-il paru, qu’un climat de siège, de huis-clos, pour exploiter ces dimensions psychologiques dans un cadre où l’action est constante, haletante et inattendue. Tissée sur fond de guerre médiévale, une intrigue quasiment policière prend doucement sa place, racontée – je l’espère – par la plume noblement vieillie du personnage principal. Telles ont en tout cas été mes intentions pour la rédaction de ce livre.

Vivant actuellement à Montpellier, âgé de 26 ans, j’ai décidé de me consacrer exclusivement à l’écriture de ce roman, dont voici le premier tome. Tome que je suis prêt à soumettre à vos yeux aiguisés et à vos envies de belles lettres. Et c’est dans cette idée que vous, les éditions Mnémos, êtes mon premier choix. Je sais, en lisant fréquemment vos publications et au vu de la qualité de vos illustrations, que mon roman – si d’aventure il vous interpelle – sera entre de bonnes mains.

Je vous souhaite donc, ma dame, mon sieur, un joli voyage et vous remercie chaleureusement pour l’attention que vous porterez à ce manuscrit.

Grégory Da Rosa »



Bonjour Grégory

En tant que jeune auteur, est ce que "la vie d'auteur" correspond à ce que tu imaginais?
Qu'est ce qui t'a le plus surpris, plu ou déplu?



Grégory :


Bonjour Phooka !

La vie d’auteur… oui… en gros, ça correspond peu ou prou à ce que j’imaginais ! C’est-à-dire que rien ne change. Il y a juste ces moments fugaces de dédicace en salon, en librairie, ces diverses rencontres qui font que l’espace d’un week-end, on sait qu’on est auteur. Sinon, le reste du temps, la vie (en tout cas pour moi), n’a absolument pas changé.

De là à dire qu’il y a des choses qui me déplaisent, pas vraiment. J’ai été très étonné de faire la connaissance d’une communauté vivace et qui n’hésite pas à dire ce qu’elle pense. Une communauté que je ne connaissais pas, à dire vrai. Le grand bain (surtout les Imaginales) a été assez perturbant, et a mis ma mémoire à rude épreuve ! :D Entre retenir les éditeurs, les auteurs que je n’ai jamais lus, les blogueuses, booktubeuses, libraires, organisateurs de salon, ça a été un sacré plongeon !

L’aspect qui m’a vraiment surpris est finalement celui-là : savoir parler de son livre en salon. Et quand je dis « savoir parler de son livre », j’entends « savoir le vendre ». Ça y est, le gros mot est lancé !

Lorsqu’on débute, que son nom, ni même le nom de son roman, ne sont connus ni d’Eve ni d’Adam, il faut savoir appâter le chaland, comme on dit. Alors on se trouve des techniques. On peaufine ses discours. On se prépare des sortes de cartes de visite à donner aux visiteurs qui, même s’ils ne repartent pas avec le roman, auront une trace de nous avec eux, pour plus tard, car… on ne sait jamais ! C’est un exercice que j’ai découvert. Etant de nature assez timide et n’ayant pas pour habitude de provoquer le contact humain, c’est une expérience que j’ai eu un peu de mal à appréhender. Mais l’habitude vient, et on se prête au jeu.

Autre point : je n’avais absolument aucune idée de ce qu’on pouvait écrire pour les dédicaces. J’ai eu une peur bleue de me retrouver devant le roman, stylo en main, et de bloquer, de ne pas savoir quoi écrire pour la personne qui attend patiemment, debout, devant soi, de ne pas trouver la bonne phrase, de faire une satanée faute, de faire des pâtés, ou d’écrire une phrase qui ne veut rien dire !

Enfin, la dernière chose qui a vraiment changé, c’est que je suis passé de l’écriture « amatrice » à l’écriture plus « professionnelle ». Ainsi, lorsque j’écris, il y a maintenant comme des regards au-dessus de mon épaule qui lisent mes mots, des murmures qui commentent mes textes : les vôtres. Là où le premier tome de Sénéchal a été écrit plus pour moi que pour les autres, le deuxième a un brin changé cette vision des choses. Je sais que j’ai des lecteurs, beaucoup ou peu, qu’importe, mais j’en ai. Et il y a, en plus du contrat d’édition, comme un contrat moral avec les lecteurs. Ça ne bride pas mon imagination, ni ne modifie mon intrigue ou mes personnages, mais ça apporte à la fois un stress et une rigueur qui n’étaient pas présents pour le premier, ou pas autant. Indéniablement, c’est une expérience d’écriture on ne peut plus différente !

3 commentaires:

Nath Aely a dit…

Ahhh je viens de lire que tu étais aux Imaginales.
Moi aussi !!! mais alors ... pourquoi je n'ai pas ta dédicace dans mon super carnet ????
POURQUOIIIIIIII j'ai raté ça??? Où étais-tu?? A côté de qui??
Et dire que j'y ai croisé les vénérables et que je t'ai raté!
Bon ok je n'aurais alors pu parler de Senechal car je ne rêvais pas encore de l'avoir entre mes mimines mais bon...
Merci sinon pour les réponses fournies à toutes nos questions posées et à celles qui ont reçues réponses avant même qu'elles fourmillent dans nos cerveaux de lecteurs :p
J'attends , je l'espère, Senechal t2 dans ma chaussette de noyel mais ce sera trop tard pour l'ITW lol. En tout cas j'ai été ravie de ma lecture et de tout ce que j'aurai appris ici.
A bientôt en salon...

Nahe a dit…

C'est un mois passionnant, merci pour ces échanges !
Tu viens d'évoquer la peur d'un blocage en dédicaces; quand il s'agit de la phase d'écriture, as-tu des petits trucs pour surmonter cette fameuse page blanche ?

Emilie Milon a dit…

Bonjour Grégory, je commente avec un affreux retard, désolée ! Merci beaucoup d'avoir partagé ta lettre de motivation avec nous. Elle est vraiment bien et même si je n'ai pas (encore) lu le Sénéchal je suis persuadé qu'elle reflète parfaitement ta plume dans le roman ! Je comprends que ça ait donné envie au comité de le lire en priorité. Je te remercie car cela me permet de prendre du recul sur mes propres lettres de présentations et motivations ! Merci d'avoir fait de la spéléologie dans tes mails :)