vendredi 24 juin 2016

LA MORT EST MON MÉTIER de Robert Merle



Editions Folio
8,20 euros
384 pages





«Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s'éclaira...- Le Führer, dit-il d'une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.Il fit une pause et ajouta : - Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.Je le regardai. Il dit sèchement : - Vous avez l'air effaré. Pourtant, l'idée d'en finir avec les Juifs n'est pas neuve.- Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu'on ait choisi...»


L'avis de Phooka:


Ce que j'adore dans le fait d'avoir un gamin au collège (et bientôt au lycée) c'est que je découvre toujours des livres intéressants parmi ceux qu'il doit lire dans le cadre scolaire.

Et là pourtant ce n'était pas gagné. Quand il m'a parlé de ce livre (que je ne connaissais pas, honte à moi), j'ai d'abord eu un sentiment de rejet.

Quoi ? Un livre qui raconte la vie de Rudolf Hoss, le commandant du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz ? J'étais sidérée qu'on puisse donner ça à lire à des mômes de 14 ans. Une pseudo biographie sur un "monstre". Voilà ce que j'imaginais.

Et puis je me suis souvenue de Malevil de Robert Merle, un roman que j'avais adoré, une écriture puissante.

La cerise sur le gâteau, c'est quand le gamin l'a dévoré en trois soirées malgré ses 384 pages et son sujet très dur. Il avait hâte que je le lise pour qu'on en discute. Je le sentais aussi assez perturbé, alors je me suis lancée.

Le livre commence quand Rudolf (Lang dans le roman) a 13 ans. Un père qu'on appellerait intégriste catholique, d'une brutalité féroce, une mère transparente et deux sœurs sans intérêt. Sa jeunesse est d'une dureté extrême et il décide de devancer l'appel à 16 ans pour fuir et aller sur le front d'où il est renvoyé car trop jeune. Mais il y retourne et y est blessé. A la fin de la première guerre mondiale, la famine et la pauvreté l'attendent. Puis les corps-francs, la prison, le parti nazi, la pénible vie de paysan, l'arrivée au pouvoir d'Hitler ...

On suit donc ce Rudolf et c'est parfois difficile de faire coller l'image du nazi qui a tué deux millions et demi de personnes avec l'homme que l'on voit vivre sous nos yeux. Élevé par un père psychorigide, il se réfugie dans la routine et refoule tout sentiment depuis sa plus tendre enfance. Sa mère ne le défend pas, ses soeurs non plus quand il reçoit des corrections et des punitions. Et c'est ainsi qu'il va devenir cet homme incroyablement froid, sans sentiment et qui a pris l'habitude de toujours obéir et de faire le mieux chaque tâche qui lui incombe pour éviter les coups. Quand Himmler lui demande de trouver le meilleur moyen de tuer le plus grand nombre de juifs possible et d'éliminer les cadavres., pour lui c'est un ordre et il va méticuleusement chercher la meilleure solution ...  C'est d'ailleurs pour ça qu'Himmler l'a choisit, lui: parce que c'est un homme "consciencieux".

On ne s'attache pas au "héros" du roman parce qu'on sait qui il est, mais on ne peut pas s'empêcher d'éprouver de la pitié pour ce jeune gamin, puis pour cet ado pris dans la tourmente de l'entre-deux guerres. Je savais que l'Allemagne avait été saignée à blanc après la première guerre mondiale et que la pauvreté y régnait, mais à ce point ... Je n'aurais jamais imaginé ! Comment les gens ont-ils pu survivre dans les années 20 en Allemagne. Les conditions étaient effroyables. Pas étonnant qu'Hitler soit arrivé au pouvoir ...

Et la logique implacable de Lang (Hoss), son désir de toujours bien faire, d’obéir aux ordres, même les plus atroces en font un personnage incroyablement "inhumain". Il est méthodique, incapable de sentiment. Et s'il se pose des questions quand sa femme, horrifiée, découvre son "entreprise", il les repousse bien vite. 

Ce n'est que lors de son procès et quand il apprend qu'Himmler s'est suicidé pour échapper au sien , qu'il doute. Et encore ... Il ne doute pas sur ce qu'il a fait, mais sur le fait qu'il a obéît aux ordres d'un homme qui n'assume pas ses actes

Je comprends le malaise de mon gamin à la lecture du roman, car on ne peut pas s'empêcher de penser à ce pauvre garçon qui aurait peut être eu un destin différent si ses parents, son entourage et la situation économique en Allemagne avaient été différents. On se sent mal car on ressent une certaine pitié pour ce "monstre", cet homme incapable de sentiment.

Un roman incroyablement fort, mais qui ne tombe pas dans l'horreur. J'avais peur de lire ce livre, peur de tomber sur des descriptions horribles des camps. Alors oui, il y a quelques descriptions, mais pas tant que ça et surtout c'est vu à travers le regard de Rudolf Lang, donc avec détachement et froideur, ce qui donne un impact totalement différent. C'est incroyablement puissant, superbement écrit et s'il y a à la fin certaines imprécisions sur les chiffres (le roman a été écrit en 1952 et on ne connaissait pas encore les chiffres exacts du nombre de morts à cette époque), cela ne change rien à la force du roman. Je n'aurais jamais lu ce livre sans la prof de français de mon gamin et j'aurais raté quelque chose. J'ai beaucoup appris sur la misère, sur l'humain et sur ce que l'humain peut faire ...


NB: Un mauvais point pour l'édition folio. La police de caractère est petite et très désagréable. La lecture est pénible. Je suis passée à un ebook pour pouvoir lire plus aisément (8,20 euros pour un livre qu'on laisse de côté pour en lire une autre version pour le coup c'est vraiment trop cher!)


2 commentaires:

Boom a dit…

Moi qui était aussi un peu trouillarde face à ce roman, tu me donnes envie de lui laisser une chance, que je découvre son histoire, si peu joyeuse soit elle :)

Phooka a dit…

Franchement c'est à lire.