jeudi 17 octobre 2013

Interview de David S. Khara tome 3


Et c'est parti pour un tome 3 , le tome 1 est ici et le tome 2



(c) Hannah Assouline 


Accoudé contre la bibliothèque en bois clair, le géant observait avec attention l’imprimante dont la diode verte, annonçant l’arrivée imminente de nouvelles pages, refusait désespérément de s’allumer. L’imposant personnage fouilla dans les poches de sa veste de treillis. Il en sortit une boîte d’allumettes et un cigare qu’il alluma aussitôt.
Coutumier des longues planques et des attentes interminables, il tira tranquillement une bouffée et expira un panache blanchâtre tout en passant une immense paluche sur son crâne chauve.
Il n’est pas pressé, et ça tombe bien, moi non plus, pensait-il quand son attention fut attirée par le fin filet de brume qui s’engouffrait sous la porte fermée du bureau.
La brume se fit plus dense puis prit peu à peu forme humaine sans que le géant s’en émeuve. Son regard se porta de nouveau sur l’imprimante, toujours muette.
— Du neuf ? lui demanda l’homme d’une cinquantaine d’années aux tempes grisonnantes et à la mise élégante qui venait de se matérialiser à ses côtés.
— Toujours rien. Pour vous comme pour moi, du reste…
— Fâcheux.
— Gonflant, vous voulez dire.
— Ce vocabulaire vous sied plus qu’il ne me correspond, mais je concède en partager l’idée. Que fait-il ?
— Monsieur répond aux questions des lectrices et lecteurs de Bookenstock, soupira le géant, ça va durer tout le mois d’octobre…
— Et pendant ce temps, il nous relègue au second plan, se lamenta le quinquagénaire en réajustant le nœud de sa cravate pourpre.
Il lissa les pans de son manteau de cachemire bleu et approcha ses doigts de l’imprimante.
— En dépit de mes efforts pour m’adapter à votre époque, je ne suis guère spécialiste de cet outil, êtes-vous certain de son bon fonctionnement ?
— Ouaip, répondit distraitement le chauve en dégainant un pistolet automatique calé à l’arrière de ses jeans motif camouflage. Bon, vous je ne sais pas, mais moi, j’entends bien passer à l’action.
Sur ces mots, il fit sauter la sécurité de son arme et vissa sur le canon un silencieux récupéré dans l’une des poches de sa large veste.
— Vous êtes donc l’agent secret, constata l’homme en se fendant d’un sourire carnassier dévoilant des incisives acérées.
— Et vous êtes le vampire, souffla le géant en lui présentant sa main libre.
 Deux paumes se rencontrèrent, l’une chaude, l’autre glacée. Ils échangèrent une poignée de main cordiale.
— Werner, enchanté de vous rencontrer enfin en personne.
— Eytan, de même.
— Croyez-vous que notre créateur leur dira tout ?
— À Bookenstock ? S’il est comme moi, je serai surpris qu’il ait la langue dans sa poche. Et s’il est comme vous…
—… il pourrait avoir la dent dure…




*****************************************************************


Eric:


Bonjour David,
Petites questions relatives à la vie d'écrivain et à l'écriture.
C'est en général un sujet qui alimente beaucoup de fantasmes.
Alors, à quoi ressemble les journées où tu écris (à part sortir les poubelles, faire le repassage, etc.) ?
Ensuite, est-ce qu'écrire est difficile ? (j'ai essayé et je trouve ça difficile, même si je continue d'écrire régulièrement, un plaisir masochiste je crois, pareil pour quelques amis). Ou est-ce que ça te vient facilement ? En tout cas, tes textes sont très fluides et se lisent facilement d'une traite. En gros, pour paraphraser ma question, est-ce que la réalisation du texte est aussi fluide que le résultat l'est.
Et dernière question : comment ton entourage et ta famille perçoivent ton activité professionnelle ? Beaucoup de scénaristes et romanciers français galèrent pas mal (on le sait tous) mais en plus leur entourage ne considère pas leur "job" comme étant un véritable travail (surtout les belles mères, paraît-il). Mais je te dispense de réponse sur la dernière question si cela t'incommode : après tout ça empiète un peu sur ta vie privée.
Voilà voilà...
Je suis sûr que tu vas mettre à mal nos fantasmes d'écrivains qui ont des idées toutes les deux minutes, en font un roman en trois mois d'écriture et dans lesquels l'éditeur ne retouche presque pas le texte...
A bientôt,
Eric 



David:



Bonjour Eric,




Alors tu as raison, mes journées ne se limitent pas à la sortie des poubelles. J’ai tenté de les sortir-rentrer-sortir pour meubler des après-midi mais j’y ai renoncé sous le regard inquiet de mon épouse ! Ma vie d’écrivain est extrêmement calibrée. J’écris entre 3 et 6 heures par jour suivant la forme et l’inspiration, à des horaires eux aussi calibrés, soit en général de 10H à 13H00, puis de 14H00 à 17H00. Je ne travaille jamais la nuit. Quand je n’écris pas, je me documente. En fin de journée, je réponds autant que possible aux mails (j’accumule un retard coupable, et il m’arrive d’en rater) et différents messages que je peux recevoir. En gros, une vie quasiment monacale mais dont j’apprécie le calme étant d’une nature plus réservée qu’on ne pourrait le penser au premier abord. Du coup, la réclusion me convient assez, ce qui, convenons-en, tombe bien.



Je n’ai aucune difficulté à écrire, au moins sur la partie création des personnages et élaboration du scénario. Il m’arrive d’avoir des coups de fatigue, des périodes moins productives, mais elles ne durent jamais plus d’une journée. Au fil des romans, la méthode s’affine, une assurance relative s’installe du type « avec quatre romans à mon actifs, je devrais arriver au bout du cinquième », mais guère plus. Le doute est une composante essentielle de la création, à mon sens, et la remise en question un merveilleux moteur aussi bien humain que professionnel. 

La fluidité n’est pas forcément naturelle, car j’ai un ligne de pensée assez confuse en règle générale, mais là encore, l’expérience acquise au cours de romans précédents fait son œuvre. Cela dit, la fluidité finale est là pour masquer un travail très important dans la conception même du texte, avec un choix de vocabulaire ciselé, une recherche d’efficacité que certains prennent pour de la facilité voire de la médiocrité littéraire, ce que je récuse. Un texte n’est pas moins intelligent ou profond sous prétexte qu’il serait fluide. Il se veut juste plus accessible. Et comme mon pli est de divertir tout en dévoilant des pans de l’histoire ou de nos sociétés que nous connaissons mal voire pas du tout, l’accessibilité est capitale dans ma démarche. Pour résumé, il y a énormément de travail pour, justement, masquer le travail. Par contre, tu évoques les retouches des éditeurs, et sur ce point je n’ai guère eu à me plaindre. Les remarques sont souvent constructives, relevant des points me semblant évident, mais pas forcément compréhensibles, ou me demandant de développer certains aspects de l’histoire ou des personnages. Sur ce plan, un point de vue extérieur m’est indispensable, d’autant plus que je n’ai qu’une confiance limitée dans mes capacités. Par contre, j’ai eu la chance jusqu’à présent de ne jamais changer ni la structure ni le fond d’un roman, et je croise les doigts pour que cela dure. Quant au temps de rédaction d’un roman, j’ai la chance d’être un vrai fainéant, c'est-à-dire que lorsque je glande, je glande puissance dix, mais quand je travaille, rien ne m’arrête. Du coup, mes histoires s’écrivent assez vite. Je préfère ne pas dire combien de temps, car je sais que ça énerve certains copains , mais tu étais très proche de la vérité dans ta question . 

Mon entourage a très bien vécu cette nouvelle carrière. Déjà, j’ai eu la chance d’émerger rapidement et de ne pas trop galérer, ce qui parfois provoque chez moi le syndrome du « pourquoi moi », question que je ne cesse de me poser et à laquelle je n’ai aucune réponse. J’ai la chance de travailler avec mon épouse qui m’épaule au quotidien, et ma famille est parfaitement consciente du travail titanesque qui accompagne l’écriture. Enfin, l’écriture est pour moi une rédemption, une vraie seconde chance, sur un plan humain et m’a permis de renouer des relations saines avec mes proches. Clairement, j’étais un sale con. Je ne dis pas que je ne le suis plus, mais en tout cas, je le suis moins. Cette aventure m’offre une seconde jeunesse, l’opportunité de rencontrer des gens formidables, et, j’espère, d’apporter un peu de plaisir à quelques lecteurs. Et rien que pour ça, ça valait la peine… 

Et voilà Eric, j’espère avoir répondu à tes questions !
 
Eric :
 Bonsoir David,Merci de t'être pris le temps de répondre à mes questions. Ma curiosité est pleinement satisfaite. Je risque de refaire un tour dans le coin si j'ai d'autres questions...En tout cas, c'est vraiment sympa cette facilité d'accès que tu nous offre sur une "fenêtre de tir" d'un mois (et merci à ce site). Peu d'auteurs s'en prennent le temps (me semble-t-il). A bientôt, peut-être.Eric
David :
Merci à toi, Eric, et surtout n'hésite pas à remonter au front ! Ah, et répondre à nos lecteurs, est bien la moindre des choses, parce que sans vous nous ne serions que des archers sans violons (joli, non ? non ? bon d'accord...)


Dup :

Une autre question m'est venue à l'esprit hier soir tard alors que j'étais plongée dans Shiro.
C'est la première fois que je vois apparaître dans un roman, un personnage vapoteur. Bon, pas de chance, il est dans le mauvais camp ! :)
Seulement voilà, tu fais dire à Eytan : " Un détail plus riche en informations qu'il n'y paraît" .
Il était tard, mais tu avais piquée ma curiosité, du coup j'ai poursuivi sur deux chapitres pour comprendre... mais rien encore!
Peux-tu éclairer ma lanterne ? En quoi un fumeur de e-clope diffère d'un fumeur classique ? Y-a t'il selon toi une mentalité du e-clopeur ?



David :

Houuuuu que ma réponse va te décevoir... Le fait que Cypher vapote constitue juste un élément d'identification pour Eytan, un indice. Par ailleurs, il trahit la volonté d'arrêter de fumer de Cypher. En plus, au moment ou Eytan remarque ce détail, Cypher apparaît affable et calme, ce qui se démentira par la suite. Et comme je suis un pervers assumé, tout ceci aura son importance en temps et en heure, car je savais que, s'il y aurait trois Projets, les aventures d'Eytan et son combat avec Cypher et le Consortium connaîtrait d'autres épisodes et des révélations...surprenantes.
Sinon, j'ai tenté l'e-clope mais je suis allergique aux embouts ce qui me provoque des inflammations terribles des lèvres (passionnant, non ?), alors j'ai repris la cigarette, ce qui est mal. Comme Cypher dans le trois, en fait... Maintenant que j'y pense, et si Cypher, c'était...moi ? Nan, je rigole, Cypher, c'est...bip...bip...bip....
Dup :

Ben en fait, je suis soulagée et je peux continuer à vapoter dans mon coin...

Eclope, ebook, il n'y a qu'un pas. Ton opinion sur ce dernier ?
C'est vrai quoi, cela fait longtemps que notre cher anonyme ne s'est pas manifesté ! Je fouterez bien le revoir :))


David :


Ma réponse sera simple et assez lapidaire. L’ebook existe, et il faut composer avec. Se cacher derrière son petit doigt ne fera qu’empirer les choses. Mais je sais une chose : les tablettes n’ont ni âme, ni charge émotionnelle. Elles fonctionnent, elles ne fonctionnent plus, on en change. Voilà leur vie. Un livre vieilli, possède une odeur, un grain, qui nous accompagnent à travers le temps et participent à notre relation avec l’auteur et il n’est pas rare qu’il nous survive. Un e-book ne représentera jamais rien.
Dup :
Je m'accorde un droit de réponse même si elle ne contient pas de question.
Comme toi j'ai l'amour des livres, des belles couvertures et du contenu. Mais tout le monde n'a pas la chance de pouvoir se payer les livres qui lui font envie ET de pouvoir les stocker. Je crois moi que posséder et se servir des deux supports est l'idéal aujourd'hui. Sans parler de l'immense avantage de la prise de notes que permet le livre numérique.Et puis, le but d'un auteur n'est-il pas d'être lu par le plus grand nombre ?
Ah ben si finalement, il y a une question ;)
David :
 Alors, Dup, tu as parfaitement raison de t'accorder ce droit, d'autant plus que je partage tes arguments. Je me bornais à regretter l'air du tout numérique qui a des côtés pratiques, mais je reconnais qu'avec l'âge je me "vieuxconnifie" !
Et dans la mesure ou les contradictions sont le propre de l'être humain, j'avoue que sans le numérique, je n'aurais pas été lu aux Etats-Unis. Par contre, ce qui est sympa, c'est que le succès de Bleiberg en numérique là-bas devrait déboucher sur une sortie papier dont je reparlerai dès qu'elle sera officiellement annoncée.
En fait, le vrai côté sympa du numérique, c'est que le jour ou des lecteurs mécontents voudront nous jeter nos livres à la figure, nous pourrons toujours revendre les tablettes, ce qui sera forcément plus lucratif pour nous, auteurs :)
 Mémé Dup :
 Bientôt je n'installerai plus David mais Ce vieux con de Raoul :))
Nahe :


Bonjour David,

je viens de terminer "le projet Bleiberg", merci pour cette excellente lecture !

Ma question tourne autour de l'écriture : comment arriver à gérer des séries aussi riches que celle-ci ou "les vestiges de l'aube" ? Les personnages, les époques y sont particulièrement denses...

A bientôt !

David :
Bonjour Nahe,
déjà, merci des termes employés dans la questions, ils sont flatteurs !
Et la question en elle même est compliquée pour moi. Pourquoi ? Parce que je n'éprouve aucune difficulté à entremêler les époques, les récits, ou à passer d'un mode narratif à l'autre. Ça me demande certes un peu de réflexion (quand même), mais c'est presque naturel. Et le pire dans tout ça, c'est que je ne sais absolument pas pourquoi. Je crois l'avoir évoqué dans une réponse précédente, j'écris ce que j'aime ou aimerais lire. Je n'ai pas de référents réels en la matière, mais mes romans se déroulent dans mon esprit comme des films sans temps morts (ou le moins possible). Je revendique totalement l'aspect cinématographique de mes structures, ce qui induit d'aller à l'essentiel.
Là ou le tout devient très complexe, c'est quand il faut imbriquer les tomes entre eux dans le cadre d'une série. Bleiberg-Shiro-Morgenstern illustre parfaitement cet aspect, plus que les Vestiges qui résonnent moins d'un livre à l'autre, quoi que... Mais construire une histoire indépendante dans un cadre plus global ou des informations et des révélations se font dans le roman suivant demande un énorme travail. De toute façon, facilités ou pas, la réalité reste la même au final : c'est un boulot immense et une obsession permanente. Il ne s'est pas passé une journée depuis quatre ans sans que je ne pense à Werner ou Eytan...
Par exemple, je savais depuis le milieu du Projet Shiro qu'Elena reviendrait dans son propre roman. Je connais le scénario, le fond politique-historique-économique, les révélations, les surprises, et même la fin depuis l'été 2011. Et je vais l'écrire à l'été 2014. Comme diraient les anglophones : full time job :)
J'espère vous avoir répondu, Nahe, et encore merci d'être passée. Surtout n'hésitez pas à revenir, je suis encore là quelques jours.
Thalyssa :

Bonsoir tout le monde ! Je me présente : Thalyssa, encore assez novice en matière de thriller, je dois bien l'avouer... mais je me soigne ^_^

Je crois comprendre que les Vestiges de l'aube tablent sur le fantastique, tandis que les Projets démontrent un gros travail de recherche pour respecter le côté historique. Comment es-tu passé d'un genre à l'autre ? S'agit-il d'une sorte de défi personnel ou juste d'une envie ?

Sans aller jusqu'à t'agresser en salon, j'avoue que j'aurais trouvé la mort d'Eytan terriblement déprimante. Je suis une grande rêveuse et j'espère qu'il trouvera une voie de rédemption dans les deux tomes suivants que je n'ai pas encore lus. En refermant Bleiberg, j'ai googlisé pour voir si une suite était sortie (quand je dis être néophyte dans le domaine, je ne mens pas xD) et j'ai adoré ce que l'ami Google m'a montré. La perspective de retrouver Eytan m'enchante, on sent qu'il y a encore tant à découvrir à son sujet !... OK j'arrête le blabla et j'en viens à ma seconde question :

Dans Bleiberg, la narration se resserre tout de même sacrément sur Jeremy, alors que la trilogie tourne autour d'Eytan. Y a-t-il une stratégie particulière derrière ce choix ? :)

Merci en tout cas de jouer le jeu du Mois de ... C'est toujours très enrichissant !

David :

Bonjour Thalyssa,
je te souhaite la bienvenue dans le monde formidable de la thérapie thrilleuresque, tu verras, il y a de superbes choses à découvrir pour des résultats très positifs sur le bien-être !
Aaaah, les Vestiges de l'Aube...un roman connoté fantastique, mais aussi polar, alors qu'il n'est ni l'un ni l'autre, ce ne sont que des toiles de fond à la rencontre entre deux hommes aux destins tragiques en quête d'une nouvelle chance. Assez étrangement, il n'existe pas de différence dans mon esprit entre les Vestiges et la série des Projets au sens ou chaque série aborde un propos très éloigné du décor dans lequel elle se situe. Bleiberg est souvent vu comme un roman d'espionnage mâtiné de faits historiques. C'est vrai en un sens, mais, et j'espère que le dernier tome de la trilogie le démontre, c'est avant tout l'histoire d'un homme, embarqué comme des millions d'autres par la grande Histoire. J'aime jouer avec les faux-semblants, chez les personnages, comme dans la mise en scène du roman. Par exemple, et cela rejoindra ta deuxième question, dans Bleiberg, Jeremy a beau être le narrateur principal, il n'est pas le héros du roman, et il faut attendre la moitié du livre pour saisir qu'Eytan est le vrai héros. Le point de Jeremy m'intéressait car il incarne le type englué dans des problèmes dont il n'est pas entièrement responsable (un peu quand même pour certains d'entre eux) et qui va mûrir au contact d'Eytan, prendre conscience de l'essentiel et redonner un sens à son existence. C'est d'ailleurs un fil rouge à travers la série. Ceux qui croisent Eytan voient leur destin chamboulé, et le plus marquant en la matière est à mon sens le cheminement d'Elena dans Shiro. Eytan incarne lui le poids de l'histoire, une histoire dont nous oublions trop vite le sens, la portée et les blessures chez ceux qui l'ont vécu.
Donc, il y a une vraie volonté derrière le choix de confier la narration à cet imbécile heureux, à l'humour douteux et incongru (je précise que j'adore cette andouille !). Pour comprendre mon intention, il suffit de comparer la première apparition d'Eytan et sa première rencontre avec Jeremy avec la fin du Projet Morgenstern. Le chemin parcouru est immense, et ce chemin qui constitue le fond de mon propos.
Pour ce qui est des genres, il faut savoir que je n'y crois pas. Enfin, pas tout le temps. Ce serait un long débat...
En fait, sache que je ne souffre aucune limitation, ni aucun interdit. Par exemple, Bleiberg a un ton clairement espionnage, alors que Shiro est pour moi un western (d'ou la confrontation finale sur le pont, mais chut...), les Vestiges 2 sera tout à la fois plus policier et fantastique que le premier. Et à l'avenir, il est possible que j'explore d'autres voies, comme la fantasy ou la SF. S'il y a une chose que je déteste, ce sont les cases, les rubriques attitrées et les ghettos.
Le vrai défi que je m'impose, et le seul qui importe à mes yeux, est de faire en sorte que chacun de mes romans soit meilleur, ou du moins plus abouti que le précédent. Ma marge de progression est énorme (abyssale diront certains !), et j'entends bien repousser mes limites. Le jour ou elles seront atteintes, je reconsidérerai ma démarche dans son ensemble. Mais ce n'est certainement pas pour tout de suite :)

Eric :

Bonjour David,
J'ai deux nouvelles questions.
Il y a quelques années j'ai lu le bouquin de Stephen King sur sa vie d'écrivain et je me souviens (notamment) de deux commentaires par rapport à l'écriture :
- il conseille aux écrivains d'écrire tous les jours. En tout cas c'est ce qu'il fait. Certains comptent même le nombre de mots écrits chaque jour. Qu'en est-il pour toi ?
- il explique aussi qu'après le premier jet, il taille dans le vif de son texte. Je ne sais plus si c'était dans ce livre ou ailleurs, mais il avait l'air de dire que pour lui c'était environ dix pour cent (ça fait une ligne toutes les dix lignes, c'est énorme !) Je pense que tout le monde n'est pas de son avis. Là aussi qu'en est-il pour toi ?
Merci d'avance,
Eric


David :

Bonjour Eric,
et merci de repasser avant que Dup et Emma ne me fasse taire !
Alors super la formulation de la question, tu vas m'obliger à ne pas adhérer aux propos d'une légende vivante, je vais encore passer pour un affreux...
Sérieusement, je suis très prudent vis à vis des conseils d'écriture. Ce que je crois se résume de la manière suivante : il y a la bonne méthode, la mauvaise méthode, et la tienne. Tu trouveras autant de méthodes de travail que d'auteurs ce qui fait un paquet de méthodes !
Je n'écris vraiment que depuis trois ans, et je ne suis vraiment personne pour asséner des vérités absolues sur cette étrange activité. Le seul conseil que j'estime raisonnable tient en un mot : plaisir. Ce doit être un plaisir, sinon, autant faire autre chose. Si le plaisir passe par une écriture quotidienne, très bien. Si le plaisir implique des pauses, très bien aussi. Si tu veux donner du plaisir, prends en, c'est vraiment mon seul conseil. Après, il y a des mises en garde liées à l'expérience et qui sont validées par les faits. Ecrire un roman, une BD, une nouvelle, ou quoi que ce soit, demande un énorme travail. Il faut accepter de se remettre en question, de douter, être capable de dépasser les phases de découragement, et enfermer son ego à la cave.
En ce moment, j'écris tous les jours, pour des raisons de planning, puisque je sors trois romans en 2014 (Un chez Fleuve Noir, et deux chez Rageot Thriler si j'arrive à rendre un deuxième tome acceptable ce qui n'a rien d'une évidence au départ). Mais l'écriture quotidienne n'est pas ma méthode habituelle, et il m'arrive encore de m'accorder une journée de pause de temps à autres pour recharger les batteries et soulager les neurones. Il ne faut pas oublier de vivre, et crois-moi, c'est vite arrivé...
Pour ce qui est du nombre de mots ou de caractères, je n'y prête plus aucune attention pendant que je travaille. Je fais le point après, mais avec l'expérience, le calibrage devient intuitif.
Et nous en arrivons au pourcentage de "production" gardé à la fin de la journée. Là encore, chacun son truc. J'imagine que King utilise ce pourcentage pour illustrer son degré d'exigence. J'ignore quelle proportion de mon premier jet se retrouve dans la version finale, et pour tout te dire, je m'en tape royalement. La seule chose qui importe, c'est de livrer un travail que l'on peut revendiquer et de savoir qu'on a fait ce travail honnêtement.
Eric :
Merci pour ta réponse.Je suis d'accord avec toi sur le fait qu'il n'y a pas de vérité absolue/figée/définitive sur l'écriture (rayer la mention inutile). C'est pour ça que c'est toujours aussi passionnant d'avoir des échos aussi divers que ceux d'Eugenides, Murakami, King ou toi.Après, c'est vrai que dans ce travail, il semble qu'après le 1er jet beaucoup de mes auteurs préférés coupent, coupent, coupent.Mais à trop couper on risque de faire perdre un peu d'âme au texte.Je m'interrogeais et voulais avoir ton avis.C'est fait.Et je note que c'est le plaisir qui te guide. Et l'honnêteté du travail bien fait.C'est une réponse qui me plaît.Peut-être qu'il me viendra encore une question d'ici la fin du mois.En tout cas, bon courage pour le travail de rédaction dans lequel tu es actuellement plongé.A bientôt,

Eric
David :Merci Eric,
j'espère que tous ces avis sauront t'éclairer et te servir car je perçois une démarche derrière tes questions :)
Si tel est effectivement le cas, n'intellectualise pas trop, et laisse une place à la viscéralité, mets des tripes. La méthode ne sert qu'à canaliser une énergie, elle ne l'a produit pas.
Et je te rassure, je coupe assez peu dans mes premiers jets. J'étoffe plutôt, j'affine, je passe énormément de temps sur les choix sémantiques et ce d'autant plus que je vise l'essentiel et l'économie de mots pour faire passer les émotions et mes idées (si, j'en ai, j'ai entendu quelqu'un protester au fond !).
J'écoute toujours les remarques dès lors qu'elles sont constructives et qu'elles n'altèrent pas le propos (si, il y a des propos dans mes romans !).
A très bientôt !

10 commentaires:

Dup a dit…

Une autre question m'est venue à l'esprit hier soir tard alors que j'étais plongée dans Shiro.
C'est la première fois que je vois apparaître dans un roman, un personnage vapoteur. Bon, pas de chance, il est dans le mauvais camp ! :)
Seulement voilà, tu fais dire à Eytan : " Un détail plus riche en informations qu'il n'y paraît" .
Il était tard, mais tu avais piquée ma curiosité, du coup j'ai poursuivi sur deux chapitres pour comprendre... mais rien encore!
Peux-tu éclairer ma lenterne ? En quoi un fumeur de e-clope diffère d'un fumeur classique ? Y-a t'il selon toi une mentalité du e-clopeur ?

Dup a dit…

Ben en fait, je suis soulagée et je peux continuer à vapoter dans mon coin...

Eclope, ebook, il n'y a qu'un pas. Ton opinion sur ce dernier ?
C'est vrai quoi, cela fait longtemps que notre cher anonyme ne s'est pas manifesté ! Je fouterez bien le revoir :))

Anonyme a dit…

Bonsoir David,
Merci de t'être pris le temps de répondre à mes questions. Ma curiosité est pleinement satisfaite. Je risque de refaire un tour dans le coin si j'ai d'autres questions...
En tout cas, c'est vraiment sympa cette facilité d'accès que tu nous offre sur une "fenêtre de tir" d'un mois (et merci à ce site). Peu d'auteurs s'en prennent le temps (me semble-t-il). A bientôt, peut-être.
Eric

Phooka a dit…

Coucou Eric

Cela fait maintenant la troisième année que nous organisons ces "Mois de" , mois pendant lesquels un auteur nous consacre son temps. Tu as bien raison de noter que c'est vraiment un énorme privilège que nous réservent ces auteurs et si tu veux connaître tous ceux qui ont participé, tu les trouveras ici:
http://bookenstock.blogspot.fr/p/le-mois-de.html
Et ils y en a encore de nombreux à venir ! ;)
Merci d'être passé ici et on espère t'y retrouver.

Dup a dit…

Je m'accorde un droit de réponse même si elle ne contient pas de question.

Comme toi j'ai l'amour des livres, des belles couvertures et du contenu. Mais tout le monde n'a pas la chance de pouvoir se payer les livres qui lui font envie ET de pouvoir les stocker. Je crois moi que posséder et se servir des deux supports est l'idéal aujourd'hui. Sans parler de l'immense avantage de la prise de notes que permet le livre numérique.
Et puis, le but d'un auteur n'est-il pas d'être lu par le plus grand nombre ?

Ah ben si finalement, il y a une question ;)

Nahe a dit…

Bonjour David,

je viens de terminer "le projet Bleiberg", merci pour cette excellente lecture !

Ma question tourne autour de l'écriture : comment arriver à gérer des séries aussi riches que celle-ci ou "les vestiges de l'aube" ? Les personnages, les époques y sont particulièrement denses...

A bientôt !

Anonyme a dit…

Bonsoir tout le monde ! Je me présente : Thalyssa, encore assez novice en matière de thriller, je dois bien l'avouer... mais je me soigne ^_^

Je crois comprendre que les Vestiges de l'aube tablent sur le fantastique, tandis que les Projets démontrent un gros travail de recherche pour respecter le côté historique. Comment es-tu passé d'un genre à l'autre ? S'agit-il d'une sorte de défi personnel ou juste d'une envie ?

Sans aller jusqu'à t'agresser en salon, j'avoue que j'aurais trouvé la mort d'Eytan terriblement déprimante. Je suis une grande rêveuse et j'espère qu'il trouvera une voie de rédemption dans les deux tomes suivants que je n'ai pas encore lus. En refermant Bleiberg, j'ai googlisé pour voir si une suite était sortie (quand je dis être néophyte dans le domaine, je ne mens pas xD) et j'ai adoré ce que l'ami Google m'a montré. La perspective de retrouver Eytan m'enchante, on sent qu'il y a encore tant à découvrir à son sujet !... OK j'arrête le blabla et j'en viens à ma seconde question :

Dans Bleiberg, la narration se resserre tout de même sacrément sur Jeremy, alors que la trilogie tourne autour d'Eytan. Y a-t-il une stratégie particulière derrière ce choix ? :)

Merci en tout cas de jouer le jeu du Mois de ... C'est toujours très enrichissant !

Anonyme a dit…

Bonjour David,
J'ai deux nouvelles questions.
Il y a quelques années j'ai lu le bouquin de Stephen King sur sa vie d'écrivain et je me souviens (notamment) de deux commentaires par rapport à l'écriture :
- il conseille aux écrivains d'écrire tous les jours. En tout cas c'est ce qu'il fait. Certains comptent même le nombre de mots écrits chaque jour. Qu'en est-il pour toi ?
- il explique aussi qu'après le premier jet, il taille dans le vif de son texte. Je ne sais plus si c'était dans ce livre ou ailleurs, mais il avait l'air de dire que pour lui c'était environ dix pour cent (ça fait une ligne toutes les dix lignes, c'est énorme !) Je pense que tout le monde n'est pas de son avis. Là aussi qu'en est-il pour toi ?
Merci d'avance,
Eric

Eric a dit…

Merci pour ta réponse.
Je suis d'accord avec toi sur le fait qu'il n'y a pas de vérité absolue/figée/définitive sur l'écriture (rayer la mention inutile). C'est pour ça que c'est toujours aussi passionnant d'avoir des échos aussi divers que ceux d'Eugenides, Murakami, King ou toi.
Après, c'est vrai que dans ce travail, il semble qu'après le 1er jet beaucoup de mes auteurs préférés coupent, coupent, coupent.
Mais à trop couper on risque de faire perdre un peu d'âme au texte.
Je m'interrogeais et voulais avoir ton avis.
C'est fait.
Et je note que c'est le plaisir qui te guide. Et l'honnêteté du travail bien fait.
C'est une réponse qui me plaît.
Peut-être qu'il me viendra encore une question d'ici la fin du mois.
En tout cas, bon courage pour le travail de rédaction dans lequel tu es actuellement plongé.
A bientôt,
Eric

Nahe a dit…

Bonjour David et merci de cette réponse : je n'imaginais pas cette précision, ce sens du détail à longue échéance.

En dehors de ce "full time job" d'auteur, reste-t-il un peu de temps au lecteur ? Quelles sont les lectures qui vous tentent ?

A bientôt,

Nahe